Il est minuit moins une en ce monde.
Cette nuit, mes yeux cherchent la marelle des étoiles et la comptine que nous avions composée, un vers chacun. T’en souviens-tu, il y a si longtemps…
Nos jeunes cœurs battaient fort et nous enjambions le ciel en dix regards. Nous touchions les astres de nos rires cristallins et la lune en écho éclairait nos visages. Le ciel était à nous, dans le sommeil du monde comme une cour de recréation, une forêt odorante, une plage immense. C’était des jeux sans fin et des rêves d’infini. C’était le printemps de nos vies, nos espoirs enfantins.
Il est minuit moins une en ce monde.
Où es-tu, toi, compagnon d’épopées secrètes, silencieuses et savoureuses ?
Sais tu, sais tu que je me suis perdue dans ce petit monde minuscule… Le comble riras-tu. On ne peut se perdre, penses tu. Et pourtant… je t’ai perdu.
Je te revois encore, tes yeux bleus acier caressant chaque étoile d’un sourire, chaque atome d’un plissement de tes paupières…
Où es-tu ? Toi, à une minute du jour d’après ?
Je parcours notre jardin d’enfants, à cloche-pieds entre les étoiles, passant ma main sur la grille de la voie lactée pour qu’elle résonne à nouveau. L’odeur de la nuit trouble mes sens et mes pieds foulent le sable noir.
Dois-je soulever chaque étoile comme les pierres des torrents, dois-je toquer au gong-lune pour te faire apparaître, dois-je enlacer le cou de la grande ourse pour qu’elle me livre ton secret ?
Dois-je hurler dans ce néant qui accueillera mes éclats de voix comme des fragments de comète ?
Cette comptine, notre comptine, pour sauter à pieds joints et sans peur, à la minute du jour d’après.
Il est minuit moins une en ce monde…
Dans une minute, le jour d’après.
Le monde d’après.